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Désirs d'avenir UK - Ségolène Royal 2007
29 septembre 2006

Le système Ségolène

Et si les éléphants étaient défaits par un coucou ?

Le système Ségolène

adce71ff7646f5f50997a13b53bb0f670_midElle a tout fait à l'envers. Elle a commencé seule. Toute seule. Sans véritable troupe ni appareil. Avec juste sa popularité. Aujourd'hui, alors que les présidentiables du PS tentent de lui barrer la route, la présidente de Poitou-Charentes aligne son état-major et ses réseaux. Mais à sa manière, surprenante, comme toujours. Comment met-elle en marche sa machine de guerre ? Comment recrute-t-elle chez les hauts fonctionnaires, les anciens briscards du mitterrandisme, les internautes ou les militants de base ? Et surtout comment a-t-elle su profiter de l'évolution du PS pour s'imposer ? Enquête de François Bazin, Agathe Logeart, Claude Askolovitch et Matthieu Croissandeau

Ce matin-là de septembre, elle montre ses muscles et elle aime ça. A l'Assemblée nationale, Ségolène Royal a réuni, comme chaque mardi, la petite troupe de ceux qui, au sein du PS, forment son état-major de campagne. Des élus, des responsables de fédération, des hommes d'appareil - très peu de femmes ! Ils sont une soixantaine et la candidate favorite des Français a tenu à ce que cela se sache. Au fond, c'est la seule nouveauté. Cet aréopage a désormais un nom ronflant : « conseil politique ». Voilà en fait quatre mois qu'il se réunit chaque semaine. Il s'est progressivement étoffé au fil des ralliements. Ony parle plus organisation que stratégie. Ony commente plus qu'on y décide. Dans lesystème Ségo, ce n'est pas là que les grandes décisions se prennent. Mais qu'importe. Désormais, il faut faire masse.
C'est l'enjeu de la période. Faire comme les autres. Faire comme les grands. Aligner des troupes. Donner des listes. Et sur ce terrain-là, les ségolénistes ne sont pas les plus manchots. 30 porte-parole, 3 secrétaires fédéraux - pour commencer ! -, 250 experts rebaptisés «personnes ressources», 400 comités locaux du club Désirs d'avenir, des amis à la pelle, des têtes de réseau comme s'il en pleuvait, des people - réels ou supposés. N'en jetez plus. Au début de l'année, une étoile est née. Huit mois plus tard, une machine se met en branle. En terme de com, c'est très bien fait. Pourtant, quand on y regarde de près, la planète Ségolène est un ensemble à la fois moins structuré, plus informel, plus souple aussi que ses inspirateursne veulent bien le dire. C'est peut-être d'ailleurs aussi la vraie raison de son efficacité. Pour comprendre, il faut aller à l'essentiel :une femme, son histoire et ses modes degouvernement.

h_9_ill_804909_segoQuand tout commence, à la fin de l'année dernière, elle est seule. Toute seule. Un présidentiable qui ne soit pas, au préalable, chef de courant ou de clan : dans l'histoire du PS, on n'a jamais vu ça. D'abord des troupes, ensuite une crédibilité, enfin une popularité : c'est le cursus classique des prétendants à l'Elysée. De Mitterrand à Jospin, la voie a été tracée. Ségolène Royal, elle, va tout faire à l'envers. Qui est-elle en effet au moment où, en quelques semaines, éclate son ambition et enflent les sondages qui la portent ? Un électron libre, à coup sûr, symbole depuis le printemps 2004, à la présidence de la région Poitou-Charentes, du renouveau socialiste. Une ancienne ministre aux méthodes décoiffantes mais sans aucune expérience des fonctions régaliennes où, dit-on, se forge le caractère des grands de la politique. La compagne du chef enfin - et pourquoi le nier ? -, protégée et marginalisée à ce titre par un appareil qui ne l'accepte qu'à condition qu'elle reste dans l'ombre du premier secrétaire.
C'est avec ça - donc pas grand-chose... - que Ségolène Royal a noué sa pelote sous l'oeil incrédule des éléphants et des professionnels du circuit. Le noyau initial du ségolénisme est un agrégat qui résume son parcours. Sa base stratégique est alors à Poitiers, au siège du conseil régional. Quand elle s'y est installée, à la hussarde, elle avait fait venir de Paris quelques fidèles en qui elle avait toute confiance : l'un de ses anciens directeurs de cabinet, Jean-Luc Fulachier, ainsi que sa vieille amie Sophie Bouchet-Petersen, qui fut, au ministère de la Famille, sa conseillère spéciale. Bon pour la région ! Bon pour la course à l'Elysée.... «Avec ses collaborateurs, si ça marche, c'est à la vie à la mort. Sinon ça gicle», explique l'un de ses proches. C'est le côté presque familial du système. Un autre de ses piliers, Christophe Chan-tepy, est un conseiller d'Etat, bon connaisseur du PS, dont il fut un temps délégué national. Lui aussi a dirigé l'un de ses cabinets ministériels. Petit monde !
C'est le temps des origines. C'est le temps des copains et des bouts de ficelle. Jacques Attali, qui en 1981 a parrainé son entrée très discrète dans les équipes Mitterrand, offre sa vraie spécialité : les relations publiques dans les dîners en ville. Nathalie Rastoin, une pro de la com, est également là, mais à titre purement amical. De même que l'avocat Jean-Pierre Mignard, le complice de toujours, l'ami de Ségolène et de François, homme de réseau s'il en est. Et puis il y a Juju - comprenez Julien Dray - et ses derniers potes dont l'influence, au coeur du PS, est inversement proportionnelle à leur nombre et dont le ségolénisme latent n'attendait que la première occasion pour se manifester au grand jour. Est-ce ainsi qu'on opère le hold-up politique du siècle ?
Le plus étonnant dans cette aventure à nulle autre pareille, c'est donc qu'elle a longtemps prospéré sur des bases quasi SEGOROSEartisanales. Dans le saint des saints du système, les apports nouveaux se comptent sur les doigts d'une seule main. Ce sont tous des hommes de parti et de campagne : Patrick Mennucci, pur produit des Bouches-du-Rhône, incorporé en marge d'un voyage au Chili, ou Thierry Lajoie, un ex-chef de cabinet de Fabius, revenu dans le circuit après un long exil et repéré dans un groupe d'experts. Derrière les organigrammes destinés à impressionner, il y a ici la réalité du ségolénisme politique. C'est celui qui se réunit en tout petit comité, souvent le dimanche matin, au domicile privé de Ségolène Royal, à Boulogne-Billancourt, autour de Sophie Bouchet-Petersen, Christophe Chantepy, Nathalie Rastoin et Thierry Lajoie. Trois anciens pour un nouveau ! Dans un dispositif élargi, c'est celui qui le 14-Juillet dernier s'est retrouvé pour un séminaire de travail au siège de l'association des présidents de région, boulevard Saint-Germain à Paris.
20 personnes, pas davantage : l'équipe du Poitou, les amis proches et une poignée d'élus locaux tels le maire de Lyon, Gérard Collomb, le maire de Bondy, Gilbert Roger, ou le président de la Lorraine, Jean-Pierre Masseret, qui fut longtemps le patron de la fraternelle Ramadier, où se trouvent tous les parlementaires socialistes et francs-maçons. Ce jour de fête nationale, quelques chars revenus des Champs-Elysées sont passés à grand bruit sous les fenêtres du séminaire. Tout le monde s'est alors mis au balcon, la candidate la première. Une répétition générale pour une future présidente et de futurs ministres ?
La planète Ségolène, pour l'essentiel, c'est cela. Du baroque resté un tantinet familial avec des protections renforcées pour résister aux coups dans la procédure de désignation interne. Tout autour, en orbite, il y a toutefois un autre univers, beaucoup moins politique, au sens traditionnel du terme, qui lui aussi révèle les méthodes de travail de Ségolène Royal. C'est celui des réseaux, comme disent certains de ses proches. Même si, en l'occurrence, le mot est sans doute un peu fort. Bien sûr, Ségolène Royal n'est pas moins douée que ses concurrents du PS pour les entretenir, voire y planter des jalons. Le 25 avril dernier, quand elle a réuni pour la première fois la petite troupe de ses experts, curieux mélange de vieux briscards des cabinets du premier septennat mitterrandiste et de jeunes pousses souvent venues du privé, c'était pour installer onze groupes de travail aux dénominations ségoléniennes en diable : « Apprendre à travailler », « Entreprises et société », « Protéger sans entraver »... Avec, dans chacun d'entre eux, les têtes de pont des grands réseaux universitaires ou administratifs de la République. Du classique, en l'occurrence.
L'originalité de Ségolène Royal est en fait moins dans sa gestion des réseaux que dans l'usage qu'elle en fait. Plus que des relais, elle recherche des palpeurs. Autant que des soutiens, elle vient soutirer intuitions et infos. La méthode, chez elle, est ancienne. Longtemps, comme le dit joliment un de ses amis, «madame Ségo a fait son marché avec son grand cabas». Toute seule et au flair. Un auteur, un chercheur, un acteur de terrain : quand elle repérait quelqu'un qui lui semblait intéressant, elle prenait rendez-vous pour aller l'interroger et faire chez elle, à son retour, une synthèse à la fois personnelle et concrète de ce qu'elle avait entendu.
Dans les dîners qu'on lui organise, notamment avec les milieux culturels, Ségolène Royal reste dans cet état d'esprit. Elle pille plus qu'elle n'instrumentalise. On l'a vu au printemps dernier dans la manière dont elle a recyclé pour son compte des recherches et des analyses tirées de la collection de « la République des idées ». Dans un tout autre registre, c'est avec une modestie un brin cynique qu'elle évoque, par exemple, ses contacts avec Jamel Debbouze. «Je l'ai vu deux fois. Pourquoi chercher à l'embrigader? Il n'a pas besoin de moi pour dire l'essentiel, c'est-à-dire tout le mal qu'il pense de Sarkozy.»
20060911Tout Ségolène Royal est dans cette distance intéressée et curieuse qui explique la manière dont elle fait tourner sa planète. D'un côté, elle l'utilise comme un instrument de combat. De l'autre, elle s'en sert comme source d'inspiration. Désirs d'avenir, dont elle a confié la gestion à son fidèle Chantepy, est en ce sens l'expression presque parfaite de ce double visage. A la fois club chargé d'aiguillonner localement les sections socialistes avec des troupes fraîches et enthousiastes, et site internet destiné à faire remonter, sujet par sujet, cette «expertise citoyenne» dont la candidate se régale au point d'en truffer ses discours.
L'autre dimanche, alors qu'à Marseille Sarkozy venait à peine d'achever son show, c'est à Florac, en Lozère, que Ségolène Royal a peut-être donné l'aperçu le plus achevé de cette manière de faire pour construire la machine qui demain, peut-être, la fera gagner. Derrière elle, à la tribune, les poids lourds de l'appareil, Georges Frêche en tête. Dans la salle, les bataillons de militants et de sympathisants. Dans son discours, un mélange à nul autre pareil d'appel aux «valeurs», de provocations calculées et de «choses vues ou entendues» sur le terrain, dont le petit groupe qui l'entoure persiste à penser qu'il est le cocktail du succès. «Mes vedettes, c'est vous», a-t-elle lancé. La planète, en tout cas, c'est bien elle !


François Bazin

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